Un Long Halloween est un comics phare dans l’univers de Batman. Largement connu et reconnu par les amateurs, il fait généralement partie des listes des quelques comics à lire si l’on veut entrer dans l’univers du chevalier noir, ne serait-ce que pour le survoler.
Pour ma part, je l’avais lu en suivant le top of the bat. Et si j’avais passé un agréablement moment, sa lecture ne m’avait pas laissée un souvenir impérissable pour autant. Aussi, maintenant que j’ai un peu plus de recul sur les comics, je me suis lancé dans la relecture de ce (trés gros) album, et je me propose de vous en livrer une petite critique.
Notons avant tout que l’édition proposée par Urban Comics inclut une préface de Christopher Nolan, réalisateur qui a signé le renouveau de Batman au cinéma avec sa trilogie 1. A l’époque de cet édito, nous étions à quelques semaine de la sortie de The Dark Knight. Il est intéressant de lire que Nolan s’est fortement inspiré de Un Long Haloween ainsi que de Batman Année Un pour ses deux premiers films.
Synopsis
Dans ses premières années, Batman fait face à un tueur en série opérant à chaque grandes dates du calendrier. Aidé du jeune capitaine Gordon et du fringant procureur Dent (deux perles rares à Gotham City, loyaux et intègres), le chevalier noir va mener une enquête complexe. En effet, le coupable , surnommé « Holiday », semble principalement s’attaquer sans peur aux familles mafieuses et au milieu du crime organisé, en particulier le redoutable Carmine Falcone alias Le Romain. En outre, divers ennemis historiques et excessivement dangereux de Batman (le Joker, l’Epouvantail, Poison Ivy…) sont impliqués de près ou de loin dans l’affaire…
L’homme-chauve-souris, le flic incorruptible et le procureur idéaliste ne seront donc pas de trop pour identifier le coupable et l’empêcher de nuire avant que la situation ne dégénère complètement dans la ville.
Année 1.5 ?
Un Long Halloween est la suite officieuse de l’excellent récit Batman Année Un.
Ce dernier (dont je ferai sans doute une critique un jour) raconte les premiers mois de Bruce Wayne de retour à Gotham city, en tant que Batman ; sorti dans les années 80, il fit l’effet d’une vraie bombe dans l’univers des comics, en redéfinissant le Chevalier Noir et son univers. Sombre, réaliste, torturé, il décrivait une métropole gangrénée par le crime et la corruption. Il posait également l’origin story de Batman, mais également de personnages emblématiques tels que James Gordon (futur commissaire) ou Selina Kyle (alias Catwoman) mais aussi le parrain de la mafia Carmine Falcone.
On retrouve dans le présent album ces mêmes protagonistes, à peine plus âgés. Gordon est toujours capitaine, Catwoman a son costume mauve (pas des plus jolis, à mon avis), Falcone présente une éraflure à la joue qu’il tient de cette dernière, Batman n’a pas encore de batmobile…
Les chapitres
Édité sous la forme d’un one-shot, l’album est néanmoins chapitré, chacun correspondant bien sûr à l’une des 13 issues mensuelles initiales, mais également à une date de l’année, formant ainsi une boucle sur un an complet. Le premier chapitre est néanmoins très nettement plus long que les autres (~50 pages, contre ~ 20 pages pour les autres chapitres) et permet d’installer le récit. La conclusion de l’album est également plus longue.
Chaque chapitre fait évidemment avancer l’enquête, mais apporte également sa victime inéluctable, et propose souvent (mais pas systématiquement) de faire intervenir l’un des super-méchants emblématiques de Gotham. Vous retrouverez ci-dessous la liste documentée des chapitres (la seconde moitié est masquée si vous souhaitez éviter les spoilers).
- Crime
- Supervilain : Catwoman
- Victime de Holiday : Johnny Viti (neveu de Carmine Falcone)
- Thanksgiving
- Supervilain : Solomon Grundy
- Victimes de Holiday : Gang des irlandais
- Noël
- Supervilain : le Joker
- Victime de Holiday : Milos (garde du corps de Carmine)
- Réveillon de la St Sylvestre
- Supervilain : le Joker
- Victime de Holiday : Alberto Falcone (fils de Carmine)
- St Valentin
- Supervilain : Catwoman
- Victimes de Holiday : gardes de Sal Maroni
- St Patrick
- Supervilain : Poison Ivy
- Victimes de Holiday : planque de Sal Maroni
- 1er avril
- Supervilain : le Sphinx
- Victime de Holliday : ?
A cela, on peut ajouter deux personnages récurrents en filigrane. D’abord, le supervilain Almanach dont la spécialité est de commettre des crimes en rapport avec le calendrier, tout comme Holiday, donc. Un personnage peu connu dans le lore de Batman. Et bien sûr le personnage de Harvey Dent qui, s’il est aux côté du chevalier noir ici, deviendra un jour le célèbre Double-Face.
De nombreux cartouches rappellent régulièrement l’avancée de l’enquête, dans les premières pages de chaque chapitre. Cela est évidement lié à la publication originelle de l’histoire sous forme de fascicules disjoints et échelonnés dans le temps. Si cela peut alourdir un peu une lecture en continu, je me suis surpris à apprécier ces rappels lorsque je reprenais mon album après un ou deux jours de pause dans ma lecture…
Le recueil proposé par Urban Comics contient en postface l’ensemble des couvertures des issues originales, toutes magnifiques, avec des commentaires trés intéressants des auteurs sur la manière qu’ils avaient de procéder à leurs choix artistiques. Un autre entretien est proposé en postface sur la genèse du récit, globalement moins interessant à mon sens.
Un roman noir
On a avec Un long Halloween un polar, un roman noir dans une Gotham crasseuse et lugubre, une véritable enquête dans laquelle Batman, avant d’être un superhéros, est surtout un détective. Bien sûr, certaines séquences de cases nous présentent le Chevalier Noir dans toute sa majesté de justicier masqué (en particulier une partie où il arrête le Joker, lui-même à bord d’un bi-plan, peut-être la séquence que j’ai le moins aimé de l’album). Mais l’album nous plonge avant tout dans une enquête policière, avec son lot de suspects, fausses pistes, vraies accusations, personnages touchants, évolutions des différentes parties prenantes, etc.
Autre élément intéressant, Batman n’est pas le seul à mener l’enquête. En effet, la famille Falcone cherche également à identifier et punir le tueur qui s’en prend à leurs business et leurs membres. A ce titre, c’est Sophia Falcone, fille de Carmine, qui sera missionnée.
Car en filigrane de la poursuite d’un tueur en série, c’est également la lutte contre la pègre qui encadre l’enquête menée par Batman. La mafia italienne avec ses différentes familles antagonistes sont très présentes (Falcone, Maroni…) mais également des bandes organisées (le gang des Irlandais…), des trafiquants d’armes, des financiers corrompus, etc.
Je parlais de personnages touchants, car le récit n’oublie pas les vies intimes des protagonistes principaux. En particulier, nous avons plusieurs séquences montrant le difficile quotidien de la jeune famille de Gordon, ou les soirées inquiètes de Gilda Dent, épouse du procureur largement accaparé par son souci de justice.
Quid des supervilains ?
Cet aspect m’avais surpris (presque déçu) lorsque j’avais lu Un long Halloween la première fois. Souvent cité comme un récit emblématique, à juste titre, il est également souvent cité comme une lecture conseillée aux lecteurs débutants. Sur ce second point, je suis beaucoup plus réservé.
En effet, même si nous nous situons dans les jeunes années de Batman, son lore est déjà très fortement implanté. En particulier, ses nombreux antagonistes principaux sont déjà présents, et les auteurs présupposent que le lecteur les connait (leurs origines, leurs pouvoirs, leurs motivations). Qui est Solomon Grundy ? Que veut le Joker ? Quels sont les superpouvoirs de Poison Ivy ? … ? S’il est néanmoins possible de lire le récit avec quelques lacunes sur ces personnages, ne pas en connaitre un minimum sur la mythologie du Chevalier de Gotham sera un handicap certain.
Cette ville est trop petite pour deux tueurs cinglés.
le Joker
Notons que l’album évoque avec intelligence les liens qu’il peut y avoir entre les vilains emblématiques de Batman, et la pègre plus anonyme de Gotham City. Leurs relations sont ambigües, et plutôt bien vues.
J’ai également beaucoup apprécié le (petit) rôle du Sphinx, qui fait ici plus figure d’antihéros que d’antagoniste.
Tirades & dialogues
Si le scénario est aux petits oignons, les tirades propres aux comics (en particulier ceux de Batman) sont également trés inspirées, permettant au lecteur de se plonger dans le psychisme des différents protagonistes, mais également dans les relations complexes qui les lient.
A ce titre, certaines planches offrent un réel et subtil échange entre le dessin et les dialogues. Par exemple, la planche ci-contre présente une scène d’échange entre Gordon et Batman, insistant sur le fait que Holiday semble pouvoir s’approcher de ses victimes. Cela induit que les victimes connaissent leur meurtrier, ou que celui-ci est particulièrement discret. Gordon souligne alors que Batman lui-même excelle sur ce dernier point. Mais la dernière vignette de la planche nous montre Catwoman en ombre chinoise, suggérant que celle-ci y excelle aussi…
La qualité des dialogues est variables. Certains échanges sont très bien menés, avec parfois des punchlines magistrales. D’autres sont beaucoup plus convenus, voire malhabiles. Et l’on retrouve comme souvent des échanges verbeux en plein cœur de certaines scènes d’actions, situations parfaitements impossibles, un grand classique des comics qui me fait toujours sourire.
Un point de vue qui m’a semblé manquer dans Un Long Halloween, c’est la présence de population. Si les cases sont rarement vides, elle sont en revanche rarement peuplées. Si bien que l’on a parfois une impression de huis-clos dans un récit qui nous mène pourtant aux quatre coins de Gotham. Dans le même ordre d’idées, je trouve qu’il manque un peu l’aspect opinion publique, qui aurait pu donner encore plus de relief à une enquête qui s’écoule sur une année complète, et entremêle police, justicier, gangsters et fous dangereux.
Une ambiance sombre et surréaliste
Vous l’aurez compris, l’ambiance de ce récit, bien que de superhéros, est avant tout celle d’un polar et d’un thriller.
Il est à noter que personnellement, je n’ai pas vraiment accroché aux dessins. Ceux-ci oscillent entre un réalisme monolithique et un surréalisme qui frôle parfois la caricature, un jeu d’équilibre pas toujours parfaitement réussi. Ainsi, les panoramas de Gotham sont de toute beauté, les flics et gangsters sont tout à fait crédibles, et Batman est représenté comme une force de la nature, parfois à la limite de l’excès. Je suis toutefois un peu plus nuancé sur le charadesign de Catwoman, trop sexualisée et bodybuildée (oui, simultanément) à mon goût. Mais c’était la mode dans les années 90. Enfin, certains personnages (et certaines scènes) tels que Poison Ivy, Solomon Grundy ou le Joker sont clairement irréalistes, ce qui a eu tendance à me faire sortir du récit. Les scènes sont néanmoins tout à fait lisibles, et les actions parfaitement fluides.
La composition des planches est quand à elle une masterclass ! Chaque page nous propose presque une idée différente. Ici, des cases tout en hauteur (cf. ci-dessus) accentuant un sensation de vertige. Là, des cases vides et figée (plus bas), permettant de suggérer de l’angoisse et un climax grandissant. Dans cette planche, une résonance muette entre les dialogues et les images que le lecteur sera le seul à apprécier. Ici encore, des planches qui se succèdent, laissant croire au lecteur que Batman et le Sphinx se répondent (ci-dessous), avant que l’unité de temps et de lieu ne soit brisée, pour souligner la symétrie des séquences sans que celles-ci ne soient liées… Bref, les compositions sont un véritable régal, font leur office lorsqu’on les balayent sans y prêter attention, et sont autant de chefs-d’oeuvres lorsqu’on s’y attarde.
Dénouement
Je dois l’avouer, j’ai du mal avec le dénouement de l’enquête !
Non pas qu’elle ne me plaise pas… mais j’ai du mal à la comprendre ! Cliquez ci-aprés si vous avez déjà lu l’ouvrage.
Conclusion
Un long Halloween reste un excellent récit de Batman, conseillé à tout amateur de l’univers du Chevalier Noir ! Si une connaissance minimum préalable de la mythologie est nécessaire, l’album constitue une histoire originale et complète.
Une enquète qui nous plonge dans les méandres du crime organisé, dans la folie des supervilains emblématiques de Gotham, ainsi que dans la psyché complexe de ses principaux protagoniste.
Comme souvent, le voyage est plus intéressant que la destination, et je reste sur ma faim quant à la conclusion de l’ouvrage. Ce qui me ferait presque dire que Un Long Halloween est peut-être un peu surcoté.
Notez que le rôle et les agissements de Catwoman demeurent mystérieux… et trouveront un écho dans la suite de Un long Halloween, à savoir le récit Amère Victoire ! Mêmes auteurs, même formule, mêmes protagonistes, sequel direct du présent album, bien que d’une qualité légèrement inférieure.