Synopsis
Dans un avenir proche, la France garantit la sécurité de ces citoyens en les dotant tous d’un implant obligatoire. Sorte d’extension de nos smartphones actuels, directement greffé au cerveau, ils rendent une quantité phénoménale de services. Et ils permettent aux forces de police de géolocaliser chaque individu, rendant ainsi la criminalité quasi-inexistante. Pourtant, un attentat suicide ébranle la Gare du Nord, à Paris, et l’inspectrice Anastasia Ovard est chargée de l’enquête tandis qu’un second attentat similaire se produit…
La France du futur
Erreur Système nous présente un avenir proche et trés crédible. La grande majorité de l’album peut se classer dans la « Hard SF », en s’appuyant et prolongeant des notions et technologies avancées mais déjà existantes. Le fameux implant, permettant de se connecter à l’ensemble du web, est un élément majeur du récit, présenté comme une évolution de nos smartphones directement connectées aux cerveaux. Cela permet, entre autres choses, de pratiquer une forme de télépathie numérique entre les personnages, qui dialoguent alors directement de cerveau à cerveau en toute confidentialité. Cette technologie n’a rien de fantaisiste : le milliardaire controversé Elon Musk y travaille activement via sa société NeuraLink. Ces implants sont reliés à la crypte, une technologie d’archivage que l’on découvre au fur et à mesure. On évoque aussi la technologie des blockchains (même si cela reste superficiel). Et bien sûr, les IA (intelligences artificielles) ne sont pas en reste, en particulier les IA soft qui réalisent en autonomie des tâches relativement basiques : ménages, travaux simples ; à ce titre, on soulignera la peluche dont Anastasia ne se sépare jamais.
Notons toutefois que le genre de l’album s’oriente vers de la science-fiction moins « hard » en fin de récit, me faisant d’ailleur penser à l’épisode « Le Réseau » de la série Stargate SG1.
Alors que ce type de futur de SF est souvent peu localisé dans le monde, ou trés américano-centré, nous sommes ici bien en France, et en particulier à Paris. En pleine période électorale, l’hexagone nous est dépeint comme un régime sécuritaire basé sur l’hypersurveillance, bien qu’on ne puisse pas vraiment parler de totalitarisme.
Au travers de cette France dystopique, à l’ambiance paradoxalement ensoleillée et étouffante, les auteurs nous proposent des réflexions politiques pertinentes, bien que parfois naïves. Le problème des migrations humaines non-choisies plane sur l’ensemble du récit, ainsi que la façon dont notre pays à choisit de s’en prémunir en assurant la sécurité de ces citoyens. Se pose d’ailleurs la question un peu éculée de la perte de liberté pour un gain de sécurité. Face à ces problématiques, la montée des extrêmes politiques (Divulgation totale et permanente des données personnelles ? Retour en arrière et abolition des implants ?) est également abordée ; cela est d’ailleurs mené de manière plutôt maligne, puisque l’on peut se demander si le parti désigné comme centriste l’est vraiment… Evoqué mais assez peu traité, le sujet de l’enfermement numérique transparait également, en particulier dans la première partie du récit : doté d’implants, sur-connectés en permanence, les français ne seraient-ils pas plus isolés que jamais ?
Liberté, égalité, sécurité.
Nouvelle devise de la République Française
Anastasia & Co
Pour servir ces réflexions dans cette France d’anticipation, l’inspectrice d’Anastasia Ovard est notre guide. Jeune policière dévouée et motivée, elle présente la particularité d’être implantophobe. Cette notion est assez mal définie, mais elle désignerait une position à la limite entre le rejet psychologique involontaire de l’implant, et une position consciente de rejet. Dotée d’une grande empathie du fait d’un passé traumatisant, Anasthasia excelle dans son domaine ; mais cette nouvelle enquête risque de la mener bien plus loin qu’elle ne peut l’imaginer. Son charadesign est trés réussi, cheveux courts, grain de beauté, athlétiques, ne se séparant jamais de sa peluche absurde, l’on s’attache trés facilement à elle.
Les personnages secondaires, plus ou moins lointains, sont également réussis, tant sur leurs traits psychiques que psychologiques. Sans en faire une liste exhaustive, nous pouvons citer Kevin le petit-ami taciturne, les collègues obtus Fama et Jean-Paul ainsi que le commissaire Scipioni, mais également le trouble Louis Dravo… Autant de personnages qui donnent de la profondeur et de la crédibilité au récit qui nous est proposé.
Un récit parfois mal maitrisé
…crédibilité qui n’est pas toujours renforcée par le dessin. Ainsi, pour en rester sur les personnages, il n’est pas rare que des vignettes entières qui dépeignent pourtant des rues parisiennes en pleine journée… soient quasi-vides de monde. L’album ne montre jamais aucune foule ; si bien que ce Paris du futur semble souvent assez peu habité (cela est surtout vrai dans la seconde partie de l’album). On peut également avoir cette impression en regardant de plus près la couverture.
Cela mis à part, les dessins sont globalement bons et tout à fait lisibles, malgré quelques visages déformés et des perspectives parfois un peu étranges.
La composition des planche est classique. Sans grande originalité mais maitrisée et donc plutôt efficace. J’ai tout de même noté une astuce plutôt intelligente pour gérer une triple intervention policière (se déroulant parallèlement en trois lieux différents) : le dessinateur a employé une lumière de fond colorée reconnaissable, permettant au lecteur d’identifier instantanément la localisation de chaque vignette sans avoir recours à des textes en cartouche. Malin !
Le scénario en lui-même tient parfaitement la route, même s’il ne m’a pas semblé toujours maitrisé. Le rythme est soutenu et maintenu, alternant avec justesse les phases d’actions ou de repos. Mais le récit en lui-même est plutôt confus, surtout dans la première moitié de l’album. Des personnes, évènements, lieux ou concepts sont évoqués sans être introduits et définis, et ne sont parfois réutilisés (en tant que pay off) que beaucoup plus loin dans le récit, sans grande fluidité d’ensemble.
En ressort une impression de brouillon, qui heureusement se dissipe au fil du récit, notament dans son dernier quart. Celui-ci aboutit à un dénouement tout à fait convenable, doté d’un twist efficace et totalement inattendu, à défaut d’être totalement crédible. Je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler.
En conclusion, un album trés agréable à lire, proposant un récit complet dans une France dystopique et pourtant pas si lointaine, et portant des questions pertinentes même si pas toujours trés bien amenées.