Decouper une BD : la narration en trois actes

La « narration en trois actes » est la structure de base la plus classique que l’on rencontre dans de très (très !) nombreuses histoires. Et donc, également dans la BD. Ci-dessous, j’emploierai des exemples issus de la bande-dessinée, mais gardez à l’esprit que cette structure s’applique également aux romans, aux films, etc.

Nous l’avons généralement tous plus ou moins étudiées au collège ; mais je vous propose de revenir un peu plus en détail sur ce qui sert de socle à de très nombreux récits, au travers de la démarche suivantes :

Ce découpage en 3 parties d’une histoire nous provient du grec Aristote qui a formalisé (très pragmatiquement) qu’une histoire se doit d’avoir un début, un milieu, et une fin. Notez que cela s’applique dans le cas d’une narration psychologique, ou le récit va suivre les péripéties d’un ou plusieurs protagonistes.

Deux définitions

Avant d’aller plus loin, je vous propose ces définitions qui seront capitales dans la suite de cet article.

Actes

Un acte désigne donc l’une des principales phases de la narration de l’histoire. Suivant les structures employées par les auteurs, leur nombre peut varier ; dans cet article, nous nous intéressons à la narration en 3 actes. Ceux-ci sont récapitulés ci-contre.

Chaque acte peut lui-même contenir plusieurs étapes ; nous en évoquerons quelques unes ci-dessous, et certains futurs articles (qui aborderons différentes façon de raconter des histoires) en détaillerons d’autres. Chaque acte se termine par un nœud dramatique.

Voir la première partie du dossier sur le Voyage du Héros

Nœud dramatique

Un nœud dramatique est un évènement précis dans la trame du scénario, un tournant, durant lequel le héros est amené à prendre une décision qui influera sur la suite du récit. On parle également de « pivot » ou encore de « rebond ».

La liste (voir ci-contre) des nœuds dramatiques n’est pas figée, et peut varier d’une histoire à l’autre, en supprimant certains et en multipliant d’autres.

Structure en 3 actes

La structure en trois actes est souvent représentée par le schéma ci-dessous, avec le temps en abscisse et la tension dramatique en ordonnée :

(Source probable)

Dans le principe, la narration en trois acte s’articule autour des personnages (et non de l’action) : héros et antagonistes sont au cœur de l’histoire, qui se structure en fonction de leurs évolutions et de leurs péripéties. Notez que si les exemples pris ci-dessous sont généralement tirés de fictions d’aventure, d’exploration, de guerre ou d’action, la narration en trois acte peut également s’appliquer à des récits beaucoup plus intimistes.

Sans plus attendre, détaillons le contenu de chaque acte, et les mécanismes sous-jacents à cette manière de raconter les histoires…

Acte I : L’exposition

Le premier acte expose l’ensemble de la situation initiale. Il présente les personnages principaux et secondaires (voire antagonistes), leurs motivations, leurs aspirations, leurs problématiques, mais également l’univers fictif dans lequel ils évoluent. C’est le début de l’histoire, dans un équilibre instable ; et un bon début se caractérise par le fait que rien de ce qu’il s’est passé avant n’est vraiment important pour l’histoire qui nous occupe 1.

Ce premier acte pose toutes les base qui seront nécessaires et exploitées dans les actes suivants. Le lecteur doit pouvoir se faire une idée générale de l’œuvre, et en particulier identifier :

  • Les personnages principaux ;
  • Le point de vue adopté ;
  • Le genre ;
  • L’époque ;
  • Les lieux.

Exemple : les premières pages des Artilleuses, qui décrivent au lecteur ce qu’est le « Paris des Merveilles », mais également qui sont les trois principales protagonistes.

L’acte I pourra contenir le moment déterminant, il ne s’agit pas d’un nœud dramatique, mais d’une étape importante, qui exprime clairement les conflits internes du héros. Elle expose ses faiblesses, ses besoins et ses désirs.

Cette situation de départ est souvent à l’équilibre, mais c’est un équilibre instable, qu’un élément perturbateur va venir faire vaciller. Cet incident déclencheur va ainsi introduire de la peur et des hésitations chez les protagonistes, et constitue le premier nœud dramatique principal de l’histoire. Il s’agit par exemple de la rencontre d’Ambroise Paré avec un primordial, dans La Licorne. Notez que cet élément peut tout à fait être un Deus Ex Machina, mais c’est l’un des rare cas où il est acceptable par le lecteur. Il agit généralement en trois temps :

  • Il apparait et suscite un effet autour de lui ;
  • Il déclenche des réactions chez les protagonistes du récit, en particulier de l’appréhension ;
  • Il lance l’histoire, d’abord progressivement, et jusqu’à la fin de l’acte I.

D’après Aristote, la peur est d’ailleurs le sentiment principal qui caractérise le premier acte. C’est elle qui enclenche vraiment l’histoire lors du second principal nœud dramatique : le point de non-retour ! Ce moment clé, qui fait écho à l’incident déclencheur, sépare les actes I et II et propose un véritable choix au personnage principal, qui peut alors prendre une dimension de héros au sens ancien du terme. Une fois cette décision effectuée, il ne sera plus possible de revenir en arrière. Exemple typique : Lanfeust quitte son village natal de Glinin pour se lancer dans le vaste monde de Troy.

Le premier acte représente environ 25% de la longueur du récit.

Acte II : Les confrontations

Le second acte rassemble l’ensemble des péripéties qui s’enchainent et constituent la trame principale de l’histoire. Les personnages vont évoluer et/ou se déplacer (au propre comme au figuré) au fur et à mesure de leurs confrontations à différentes épreuves.

Chaque péripétie peut être vue comme une sous-étape de l’acte II, sans pour autant constituer autant de nœuds dramatiques à parts entières. Les péripéties vont généralement croissantes dans leurs complexités, leurs enjeux, leurs gravités, afin de faire monter la tension tout en confrontant des protagonistes qui évoluent et réagissent à des problématiques qui évoluent également.

L’on distingue toutefois deux péripéties dans l’acte deux qui constituent deux nœuds dramatiques typiques… Tout d’abord, le pivot principal (ou point médian) sépare généralement ce second acte en deux parties (pas nécessairement égales). Il s’agit de la plus grande péripétie de l’acte, et elle va interroger le héros sur les choix  qu’il a effectués jusqu’à présent. On peut le voir comme une variation ou un écho du point de non-retour qui termine l’acte I. En simplifiant, on peut considérer qu’avant le pivot principal, les protagonistes subissent et réagissent ; après le pivot principal, une stratégie (éventuellement associée à une réorientation) est mise en place et suivie…

Un exemple de pivot principal pourrait être l’arrivée de la Légion dans le premier cycle d’Aquablue, qui sera un antagoniste avant de faire basculer les forces en présence, tandis que la résistance s’organise. On pourrait également suggérer la création du nouveau « groupe de la Mantrisse » dans Aldebaran. Ou encore la révolte des « pions » dans le courant du premier cycle de Ythaq.

Ce nœud peut également provoquer la chute du héros (pour qu’il se relève d’autant mieux), ou encore faire mourir certains protagonistes ; l’on parle parfois d’ordalie centrale pour ce noeud dramatique. Il peut également s’agir de la première confrontation à l’antagoniste principal. Il est aussi possible de créer une intrigue secondaire découlant de ce point médian.

Les confrontations continuent ensuite de se succéder, le héros met au point un plan, jusqu’au nœud dramatique qui conclue l’acte II… D’après Aristote, c’est la pitié qui caractérise surtout cet acte.

Ce nœud dramatique constitue l’apogée de la tension, le point culminant de l’histoire, ce à quoi l’ensemble des péripéties de l’acte II a mené : le climax ! Il s’agit généralement du nœud le plus facilement reconnaissable de la part d’un lecteur, même non averti… C’est à ce moment que la confrontation est la plus ardue, l’affrontement est le plus grand, les révélations les plus impactantes se font. Le climax correspond à la décision finale du héros (ou des protagonistes), faisant échos aux nœuds de début et de milieu de l’acte. A cette occasion, il applique les leçons apprises durant l’ensemble de l’acte II.

Les exemples sont légions :

  • Lanfeust affronte Thanos,
  • Thorgal confronte Ogothai, alias Varth, dans le Cycle de Qâ,
  • Cade défie Dark Krayt dans Star Wars Legacy,
  • Les héros rencontrent le Dieu du Vide dans Le Dernier des Dieux,
  • Les White Lanterns s’apposent à Nékron dans le run de Geoff Jones sur Green Lantern.

Le second acte représente environ 60% de la longueur du récit, il en constitue bien le cœur et la majeure partie. L’on dit parfois :

Il faut [qu’il soit] le plus long possible pour [le] héros, mais le plus court possible pour [le] lecteur.

William, sur Scenar Mag

Acte III : Le dénouement

Dans les différentes sources que j’ai pu consulter, l’acte III est le moins bien documenté ou détaillé. D’après Aristote, il se caractérise pas le soulagement.

L’on classe souvent le climax comme séparant les actes II et III, mais il peut également être placé au sein de l’acte III (dans ce cas, les limites entre les deux actes sont beaucoup plus floues).

Le troisième acte peut contenir l’affrontement final, souvent contre l’antagoniste principal. Le héros y fait preuve de courage, en réponse aux peurs présentes en particulier dans l’acte I.

L’acte III peut parfois contenir un second climax, afin de maintenir le lecteur en haleine (par exemple : l’attaque de l’Etoile Noire dans Star Wars IV, ou le retour du xénomorphe dans la dernière partie de Alien). Dans ce cas, l’on commence à se détacher de la structure en 3 actes, pour se rapprocher d’une structure en 4 actes (cf. ci-dessous). Mais généralement, l’auteur préférera plutôt retarder le climax principal au maximum, raccourcissant d’autant la longueur de l’acte III.

Exemple : après avoir affronté les vampires du premier diptyque de la saga Okko, Tikku rejoint le samouraï ronin dans ses futures aventures…

L’acte III permet la conclusion de tous les arcs narratifs ouverts dans les deux actes précédents, menant à un nouvel équilibre stable par opposition au début de l’histoire.

Le troisième acte représente environ 15% de l’œuvre maximum ; souvent moins quand le climax est retardé.

Acte… IV ?

En conclusion, la structure en trois actes est une façon de construire les histoires assez universelle, et intemporelle. Il convient néanmoins de garder en tête les deux points suivants.

Comme tout outil ou théorie liée à la narration et à la manière de raconter des histoires, il faut la prendre pour ce qu’elle est : un guide, un prisme par lequel on peut analyser (ou apprécier) un scénario. Mais ce n’est surtout pas une recette à appliquer ou rechercher absolument. Les auteurs sont évidement toujours libres d’adapter la structure en 3 actes à leurs idées, varier les longueurs des actes, les types et nombres de nœuds dramatiques… Ils ne doivent surtout pas la subir !

Bien que la structure en 3 actes se retrouve naturellement dans de très nombreuses histoires, l’on peut trouver d’autres types de structures, avec plus d’actes, ou des constructions très différentes, convergentes ou divergentes. Je ferai certainement un article à ce sujet, complémentaire à celui-ci…

Bibliographie

Ci-dessous quelques sources employées pour rédiger cet article :

  1. A moins d’être abordé dans des flashbacks. Mais l’on commencerait alors à sortir de la narration en trois actes qui nous occupe ici.[]

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