Lors d’une tentative de meurtre sur le commissaire Gordon, les plans du Joker et de Harley Quinn sont mis à mal par Batman. Le Joker tient Harley pour responsable… L’occasion pour cette dernière de se remémorer ses débuts, l’origine de son amour pour le Joker et la manière dont elle en est devenue folle… Littéralement.
C’est décidé, de sa propre initiative, elle va s’occuper seule du bourreau de son « poussin » : elle va s’en prendre au Chevalier Noir.

Une intrigue simple mais magistrale
Le scénario de cet album s’avère d’une redoutable efficacité malgré sa simplicité apparente. La construction narrative repose essentiellement sur les incertitudes et oscillations émotionnelles de Harley Quinn vis-à-vis du Joker. Tour à tour amoureuse transie, manipulée puis manipulatrice, Harley est un personnage complexe, animé par un amour vacillant mais une folie en pleine croissance. Cette dichotomie constitue le moteur dramatique du récit et confère à l’histoire une profondeur psychologique remarquable.
La narration alterne habilement entre un flashback percutant et le présent, permettant de plonger dans les souvenirs de Harleen Quinzel et d’explorer l’origine de son amour fou pour le Joker. On découvre une jeune femme arriviste, prête à tout pour réussir, mais dont la vulnérabilité (et peut-être une sorte de syndrome de Stockholm) a été exploitée par un maître manipulateur. Le traitement de ce thème, teinté de tragédie, est subtilement orchestré, mettant en lumière la descente aux enfers d’une psychiatre ambitieuse devenue l’acolyte d’un psychopathe.
Des personnages finement écrits
La caractérisation des personnages principaux est un autre point fort de l’album. Harley Quinn est dépeinte avec une étonnante justesse psychologique, dévoilant ses doutes, ses espoirs et ses illusions amoureuses. Étrangement sexualisée (surtout en perspective de Batman TAS qui s’adressait clairement aux enfants) sans jamais tomber dans la vulgarité, elle oscille (encore) constamment entre naïveté touchante et folie furieuse. Le Joker, quant à lui, demeure fidèle à sa représentation classique : imprévisible, narcissique, cruel et manipulateur, il incarne le chaos pur et l’immoralité.
Les personnages secondaires, tels que Batman et Jim Gordon, remplissent parfaitement leur rôle. Ils incarnent la rationalité face à la folie dévastatrice de Harley et du Joker, renforçant ainsi un contraste utile à l’impact émotionnel de l’intrigue.
Elle a été plus près du but que tu ne l’as jamais été… Poussin.
Batman, au joker
Un dessin authentique et évocateur
Visuellement, cet album s’impose comme une véritable continuité à la série animée Batman de 92, cartoonesque et sombre à la fois. Le style graphique, signé Bruce Timm, est d’une fidélité absolue à l’esthétique du dessin animé ; et le charadesign, parfaitement identique à celui de la série, ravira les nostalgiques tout en captant l’attention des nouveaux lecteurs. Le dessin adopte toutefois le noir et blanc de rigueur des Batman Day, qui ajoute une atmosphère sombre et mélancolique à l’ensemble. Le choix de crayonnés visibles additionnels confère au récit une texture presque onirique, accentuant le caractère chaotique de l’univers mental de Harley, tout en ajoutant charme et intérêt à l’album.
Le découpage en gaufrier à neuf cases (les vignettes sont matérialisées par défaut en pointillés dans chaque page, puis exploitées de manière très variable par le dessin), est ici exploité avec une grande maîtrise. Les cases fusionnées par moments offrent une liberté narrative tout en maintenant une régularité visuelle qui rythme efficacement la lecture.

Voici un bel exemple de composition dans la page ci-dessus :
- Les 9 vignettes du gaufrier sont bien visibles (3 vignettes sont fusionnées dans le troisième strip).
- Le premier strip nous montre un exemple de double hors-champs : le Joker étant présent dans la première et troisième vignettes, sans pour autant être représenté.
- Le second strip emploie un traveling sur ses trois cases.
Une atmosphère tragicomique déjantée
L’ambiance oscillant entre tragique et déjanté accentue l’immersion dans l’esprit torturé de Harley. La folie du Joker, celle de Harleen, son déni pathologique et son aveuglement forment un cocktail explosif, habilement exploré à travers un récit qui interroge les frontières floues entre amour et obsession. La question de savoir si un tel amour n’est pas une folie pathologique par essence traverse tout l’album, lui conférant une dimension presque philosophique et inattendue.
La préface de Paul Dini, co-créateur de Harley Quinn, éclaire cet aspect en mettant en parallèle l’amour fou de Harley pour le Joker et les passions humaines les plus destructrices. Cette réflexion renforce l’impact émotionnel du récit et permet de mieux saisir l’ambivalence du personnage.
Une œuvre incontournable pour les amateurs de Batman
En conclusion, cet album explore la psyché complexe de Harley Quinn avec une profondeur rare. Il réussit le pari de rester fidèle à l’esprit originel du personnage tout en lui apportant une dimension tragique contemporaine.
Avec un scénario intelligent et un style graphique simple mais authentique, cet album est une lecture indispensable pour tout adepte de l’univers de Batman.