Nous sommes bien longtemps après la Grande Guerre Galactique du Ragnarok. Les peuples encore présents dans la galaxie se sont regroupés en factions plus ou moins grandes, au sein d’un système féodal complexe. Alors que l’Empire assure la sécurité des humains, et de nombreuses races plus ou moins humanoïdes, il n’en est pas moins en guerre contre le sultanat, et doit gérer une rébellion grandissante de plusieurs duchés et baronnies. Et dans les replis de la réalité, d’inquiétantes entités menacent de surgir du passé…
Dans ce contexte, le premier tome de Astra Saga nous propose de suivre plusieurs personnages dans des intrigues parallèles, qui convergeront très certainement dans les tomes suivants. Parmi eux, nous accompagnons les soldats de l’Empire Sey et Osfrid, envoyés sur le front pour récupérer une mystérieuse marchandise en transit. Simultanément, nous découvrons la maison Dansner, en particulier le duc ainsi que ses deux enfants, horripilant Oddmar et la géniale petite Hlin, ainsi que les intrigues de la noblesse qui se nouent autour d’eux.
Un univers très riche
Comme on peut s’y attendre, ce premier tome est surtout introductif. Et en réalité, il nous présente beaucoup plus l’univers de la série, que les intrigues et enjeux qui y seront vraisemblablement développés.
Et si l’on peut reconnaître une qualité absolument indéniable à Astra saga, c’est la profondeur de son univers et de son lore. Celui-ci est très directement inspiré de la mythologie nordique, ici transposé dans un univers de science-fiction très avancé. Un parti pris qui peut étonner, mais qui fonctionne plutôt bien, et auquel j’ai totalement adhéré.
Ainsi, dès le départ, les pages de gardes nous renseignent sur la manière dont fonctionne macroscopiquement cet univers, avec ses différentes couches de réalité. On peut toutefois regretter que ces informations soient accessibles au lecteur dès le départ. Il aurait sans doute été plus subtil de les distiller au fil du récit, quitte à les récapituler ensuite dans un appendice, ou en épilogue.
La galaxie qui nous est présenté est peuplé de nombreuses races qui coexistent, au sein d’une grande faction qu’est l’Empire, mais plus ou moins morcelée en différentes régions, elles-mêmes plus ou moins autonomes. Certaines factions sont rebelles, d’autres sont loyales, et d’autres encore sont carrément ennemies. Au sein de l’Empire en lui-même, on distingue différentes familles, alliées ou concurrentes, aux prises avec des créanciers, ainsi que différents niveaux de noblesses. Ces dernières peuvent être nouvelles ou anciennes, être directement présentes à la cour impériale ou non, et avoir une position géographique dans la galaxie qui leur donnera plus ou moins d’influence. En résulte des relations géopolitiques relativement complexes, complexité elle-même augmentée par les modes de transport qui nous sont présentés dans cet univers : lents, peu sûrs, et pouvant isoler certaines régions de la galaxie.
L’auteur (Philippe Ogaki, ici scénariste et dessinateur) nous introduit également de très anciennes entités, soi-disant disparues, mais qui joueront clairement un rôle dans cette saga (cela nous est d’ailleurs peut-être un peu trop vite introduit, avec encore un petit manque de subtilité). Car en un unique tome d’introduction, l’on découvre également une chronologie à cet univers, avec notamment une grande guerre qui ravagea la galaxie opposant les ases aus jotuns. C’est sur les ruines de cette guerre que s’est construite la société que nous découvrons. Évidemment, ces entités ne sont pas aussi éteintes que le croient les protagonistes, contrairement au lecteur qui devine un peu trop vite qu’elles ne sont pas bien loin…
Pour finir sur un rapide passage en revue de l’univers d’Astra saga, je donnerai un bon point supplémentaire au design des technologies. En effet en plus de s’inspirer de la mythologie viking, l’auteur nous propose des designs très proche du 19e siècle terrien (entre styles napoléoniens et victoriens). Ainsi, nous retrouvons des costumes très travaillés, des mobiliers ouvragés, de nombreuses fioritures, et donc des technologies bardées de blason, décorations, et emblèmes (qui font parfois penser à l’univers du jeu Warhammer 40000). On ne pourra également pas passer à côté d’une forte inspiration issue de Star Wars, avec les sabres lasers (on va l’écrire en deux mots) ou encore l’emploi d’éclairs projetés par les doigts. Mais cela reste assez anecdotique.
Les dessins, beaucoup de bon et un peu de moins bon
Les dessins sont assez originaux, et seront plutôt clivants auprès des lecteurs, je pense. On observe clairement un trait manuel, mais la colorisation est largement numérique, et l’auteur veut que cela se voit !
Ainsi, il n’est pas avare en très nombreux effets de lumière, reflets, halos, scintillements et très nombreuses projections lumineuses, notamment lors des scènes spatiales. Je comprends que cela puisse désarçonner. Mais pour ma part, j’ai tout à fait adhéré ! Cela donne des vignettes magnifiques, et parfois des doubles pages simplement somptueuses, dans lesquelles on peut se perdre un long moment à en étudier tous les détails.
L’auteur maîtrise bien sa représentation de l’espace, avec des perspectives tout à fait réalistes, et en jouant sur les rapports d’échelles, notamment entre les personnages et l’immensité des espaces ou constructions qu’il côtoient, induisant ainsi des différences vertigineuses. J’ai également beaucoup apprécié les scènes de combat spatiaux, qui en plus d’être incroyables, sont aussi assez réalistes : en effet, les différents vaisseaux ne sont pas proprement rangés côte à côte, ou face à face, mais se retrouve dans des positions très diverses dues à l’impesanteur du vide spatial. Ce parti pris peut toutefois apporter quelques difficultés dans la lisibilité de certaines actions, en particulier lorsque des protagonistes s’affrontent en impesanteur, justement.
Je regrette toutefois que certains personnages, notamment lorsqu’ils sont enfants, aient l’air un peu caricatural. Je ne suis vraiment pas expert, mais cela me fait un peu penser à des mangas (têtes disproportionnées, grandes bouches…), et pour ma part je n’accroche pas trop, surtout en contraste avec le reste de l’album.
Les scénarii, au pluriel
Ce premier tome nous propose de suivre plusieurs personnages dont les destinées sont parallèles, mais également décallées dans le temps. Un parti pris qu’il n’est pas évident de suivre au début, mais qui n’est finalement pas si obscur une fois l’album refermé
En effet, en plus des différents personnages, nous suivons des péripéties qui se déroulent à différentes époques, celles-ci étant par ailleurs relativement proches les unes des autres, séparées par deux décennies tout au plus. Les personnages ont donc assez peu vieilli de l’une à l’autre. C’est un peu risqué, mais ça fonctionne plutôt bien, d’autant que des cartouches explicatifs nous rappellent régulièrement où et quand nous sommes.
J’ai par ailleurs énormément apprécié l’une des idées de l’auteur, consistant à nous montrer un personnage important dans des époques passées, alors que celui-ci est totalement absent de la chronologie présente (principale). De quoi s’interroger sur sa destinée !
Les personnages principaux eux-mêmes ne sont pas forcément des plus intéressants. Un peu caricaturaux, on retrouve le soldat courageux, le guerrier bourrin, le vieux sage, l’émissaire véreux, la princesse géniale, l’enfant pourri-gâté… Cela fait toutefois beaucoup pour un seul et unique tome d’introduction, et on peut espérer que ces personnages seront plus subtils dans les tomes à venir. J’ai toutefois apprécié leur division en différentes castes, et compte-tenu du riche lore qui nous est présenté, on peut espérer l’introduction de nombreux autres personnages dans les tomes à venir.
À mon sens, un très mauvais point de cet album réside dans ses dialogues. Ceux-ci sont généralement assez peu inspirés ; lorsqu’ils font de l’exposition c’est vraiment sans subtilité, et ils sont parfois simplement maladroit ! Par exemple, on peut assister à un échange entre deux parents parlant entre eux de leur fils, en précisant bien au lecteur qu’il s’agit de leur fils. Un autre très mauvais point, ce sont les fautes d’orthographe que l’on retrouve tout au long de l’album ! Cela est impardonnable, surtout chez un grand éditeur comme Delcourt.
Pour finir, on nous introduit toujours sans trop de subtilité un protagoniste qui pourrait se révéler être un grand-méchant-pas-beau absolu. Compte tenu de la richesse de cet univers, j’espère que l’auteur ne sombrera pas dans cette facilité, et maintiendra une subtilité et des relations complexes au sein de cette galaxie qui le mérite !
Une BD en réalité augmentée
C’est à l’occasion de la relecture de ce premier tome que j’ai découvert que Delcourt proposait une expérience de lecture en réalité augmentée ! Pour cela, il suffit de télécharger l’application gratuite idoine. Ensuite, c’est en scannant les pages de la bande dessinée que l’application fait apparaître différents items :
- Des crayonnés,
- Des informations additionnelles,
- Des modélisations en 3D,
- Des plans,
- Des schémas techniques…
Voir ci-dessous la vidéo que j’ai moi-même réalisée :
Une telle expérience de lecture est originale, et intéressante. Est-ce nécessaire à la lecture de l’album ? Bien sûr que non. Il s’agit d’un riche gadget. Néanmoins, cela permet d’augmenter le plaisir de lecture, un peu à la manière d’encyclopédies qui peuvent être proposées par d’autres auteurs de BD.
Je me pose toutefois deux questions à ce sujet. D’abord, cela a tendance à saccader l’expérience de lecture, et je pense que la réalité augmentée est plutôt adaptée à une seconde lecture. Cet avis est renforcé par mon second point : le risque de spoiler que l’on peut trouver dans les informations proposées par l’application ; en effet, j’ai été surpris par certains détails, ayant eu une compréhension différente de l’album.
Petit mauvais point à ce sujet, je pense qu’il y a des contradictions directes entre ce qui est dit dans l’album, et ce qui peut-être présenté dans l’application.
Pour conclure, une trés bonne surprise que ce premier tome, mais cette Astra Saga doit encore transformer l’essai en améliorant ses personnages et en conservant la complexité qui nous est présentée.