Cet album est une véritable madeleine de Proust pour moi ! Il trainait depuis des temps immémoriaux au coin de la grande et vieille cheminée de la maison de vacances familiale, située non loin des rives du Bassin d’Arcachon (Sud Ouest de la France). J’ignore d’où elle venait, mais je me souviens qu’il manquait quelques pages, tant le livre avait trainé de mains sales en coins de chambres , et de fauteuils poussiéreux en canapés usés… Je me souviens qu’il avait fini par disparaitre, sans doute trop abimé pour être conservé et jeté par ma grand-mère lors de l’une de ses habituelles séances de ménage (très) matinales.
Aussi, quelle ne fut pas mal joie de retomber dessus par hasard, au détour d’un vide-grenier dans mon quartier !? L’abum est tout aussi usé, la couverture est rayée, les coins écornés, les gardes sont jaunes et présentent des taches d’humidité… bref, un véritable trésor, identique à l’album de mon enfance !
« La Tchalette » est une anthologie de 9 contes disjoints, de moins de 10 pages chacun, et sans lien scénaristiques les uns avec les autres. Prenant place dans l’europe profonde et les campagnes oubliées du tout début du XXème siècle, chaque chapitre évoque une historiette fantastiques : lycanthropes, pactes avec le diable, troupeaux de brebis ensorcelées ou fées des étangs… Avec une tendresse touchantes et non sans un brin d’épouvante, l’auteur nous replonge avec délice dans l’ambiance irréelle, naïve et pesante des petits villages français belges d’autrefois…
La Tchalette
Alors que personne n’avait plus vu de loup dans la région depuis des lustres, une meute d’inquiétants loups noirs sévit et s’introduit même dans le village. Plus étrange, ils semblent s’attaquer à des maisons en particulier, exécutant une ancienne malédiction oubliée des plus jeunes… La Tchalette, cette vieille ermite qui vit dans la forêt, en est-elle responsable ?
Ce premier conte, qui donne son nom à l’album, pose directement le ton : un village français dans la neige hivernale, des loups terrifiants, des anciens qui meurent les uns après les autres, des légendes oubliées et des marginaux inquiétants. Un premier chapitre, mouvementé mais touchant.
Mignon
Dans une ferme apparemment sans histoire, le père de famille est en proie à d’étranges cauchemars, chaque soir, qui seraient liés à un amour déçu de jeunesse. Le médecin du village n’y peut rien, mais conseille au fils aîné de s’adresser au rebouteux du coin.
Malgré quelques grosses facilités scenaristiques, on ne peut que partager l’amour perdu de Julien et Mignon, qui peut nous interroger sur nos propres choix passés, en tant que lecteur. Les regrets peuvent parfois hanter davantage que les fantômes…
L’Ernest
Le curé du petit village de Soucy est un grand amateur de vins. Mais depuis peu, ses tonneaux se vident inexorablement… Et le voleur semble d’une habileté… surnaturelle. Le notable va donc se résoudre à mener sa propre enquête.
Un petit conte non dénué d’un humour charmant, mettant en scène un prêtre et du bon vin, deux thème assez peu associés… sauf dans la campagne profonde d’il y a un siècle.
Aurore
Olivier de Villemont est l’héritier d’une petite noblesse locale. Fuyant un mariage arrangé, il finit par s’éprendre d’une fée des brumes. Mais le temps de celle-ci parmi les humains est compté…
Première histoire du recueil qui se termine mal, il en reste toutefois un sentiment doux-amer, sur l’échéance qui nous attends tous, un jour ou l’autre…
Le Chabot
Le chabot est un os1 doté de magie, capable de rendre son propriétaire invisible à volonté. Mais plus que magique, l’objet est surtout maudit ! Et lorsque son dernier propriétaire décède, il charge l’un de ses amis de protéger sa tombe et son âme contre Satan qui viendra réclamer son dû…
Sans doute le chapitre le plus ouvertement fantastique de l’ouvrage, et peut-être le plus convenu, mêlant trop de concepts pour trop peu de pages.
Berthe
Jeune fille éprise de nature, Berthe vient en aide à un couple de loups, qui lui offrent en échange un étrange médaillon.
Une petite légende touchante (en particulier sur le rapide passage de la vie difficile de Berthe, fillette, puis femme, puis vieillarde) mais trop courte à mon goût, et dotée d’une chute un peu étrange.
Niké
Niké est un lutin, protecteur de la ferme Trodoux. Epris de la plus jeune des filles de la famille, il va rapidement manifester de la jalousie envers le prétendant de cette dernière, qui n’est (au demeurant) pas des plus sympathiques.
Une petite fable sur la jalousie, les mauvaises actions qu’elle peut nous pousser à faire, puis le devoir que l’on aura de les réparer. Seul le choix d’un protagoniste clairement et ouvertement féérique est étonnant, d’autant que personne dans le récit ne semble surpris par le caractère magique du personnage.
Firmin
Alors que la récolte du bon Firmin vient d’être perdue dans l’incendie de sa grange, sa famille est menacée de misère. Mais un soir, un étranger lui propose de rebâtir sa grange… en échange de son fils à naître prochainement.
Une légende sur un classique pacte avec le diable, qui se termine pourtant bien, avec un twist plutôt malin.
Patchou
Patchou est un brave garçon. Responsable du troupeau de vaches familial, il a perdu son père il y a peu, aussi son quotidien n’est-il pas rose. Un jour, une étrange et magnifique vache noire se joint à son troupeau. Parviendra-t-il à la ramener à sa mère…?
Dernier conte du recueil, celui-ci ne se terminera pas en happy-end, pointant du doigt l’impétuosité et l’impatience2 de la jeunesse. Et toujours sans négliger une tendresse notable.
Le dessin de Servais est assez reconnaissable. Un peu old school, rappelant vaguement les gravures d’époque, et néanmoins plutôt typique (je dirais) des années 80, il n’en demeure pas moins très crédible malgré le fantastique, permettant d’ancrer ces contes et légendes dans dans la réalité du lecteur.
Pour conclure, je ne suis absolument pas objectif en disant que ce recueil permet un voyage délicieux, non sans un ou deux frissons, dans les campagnes profondes et fantasmées de la France et de la Belgique d’il y a un siècle… Un plaisir à savourer un soir d’hiver, au coin du feu avec une tisane fumante.
En bonus, je vous propose ci-dessous une sympathique et courte vidéo, présentant l’auteur J.C. Servais dans son quotidien actuel de la campagne Belge. Il y revient sur sa carrière, et mentionne (brièvement) la Tchalette.
Je ne prend pas souvent le temps de lire tes articles, mais entre 2 séances de psychomot, je me suis laissé tenter par la Tchalette qui me rappelle les mêmes souvenirs que toi. C’était plaisant de lire tes lignes et ça me donne envie de revenir plus souvent sur ton blog.
Mon chère frère, voilà un commentaire qui fait chaud au cœur ! Vraiment !
Reviens lire mes lignes dés que tu en auras envie ! Cet article, par exemple, pourrait aussi te rappeler des souvenirs…
https://www.alphabulle.fr/le-grand-pouvoir-du-chninkel/