Lorsque j’étais gamin et que je découvrais à peine la BD, je faisais comme beaucoup qui avaient ma chance : je piochais dans la BDthèque de mon père ! J’y ai lu et relu nombre d’albums, et la Grand Pouvoir du Chninkel en fait partie ! On était alors dans les années 90 ; et c’est trés récemment (fin 2022) que je me suis replongé dedans, après l’avoir acheté d’occasion pour une bouchée de pain en vide-grenier.
Cela lui fait presque mon âge, puisque l’album est sorti de manière épisodique dans le mensuel « (A suivre) », puis en un volume unique en 1986. Dessiné par Rosinski (voir ses albums critiqués sur le blog) et scénarisé par Van Hamme (voir aussi ses albums), nous avons ici sur le duo qui a signé la saga Thorgal, et sans doute à sa meilleure période (considérant les dates, le Grand Pouvoir du Chninkel a été réalisé à la période de la diffusion du cycle de Qa de Thorgal).
Originalité notable : ce récit a été dessiné et conçu pour être diffusé et lu en noir en blanc. Une version couleur (et en 3 tomes distincts) a cependant été proposée bien après la première édition.
Synopsis
J’on est un chninkel, sorte de lutin aux grands yeux noirs et aux oreilles pointues, haut comme la moitié d’un homme. Appartement à une race inférieure et asservie, il subit comme beaucoup une guerre qui semble éternelle et ravage le monde de Daar depuis des temps immémoriaux. En effet, trois armées aux ordres de trois immortels aussi dissemblables que déterminés,s’affrontent de manière presque discontinue, dans des batailles qui semblent ne jamais infléchir le cours du conflit dans une direction ou dans une autre.
C’est suite à l’une de ces boucheries insensées, alors que J’on fait partie des rares survivants, que lui apparait U’n, le Maitre Créateur des Mondes ! Fatigué par cette guerre interminable, celui qui est à l’origine de toutes choses missionne le Chninkel d’y mettre fin sans délai, sans quoi il annihilera purement et simplement Daar. Pour l’aider dans sa difficile quète, il confie à J’on le « Grand Pourvoir ».
Mais quand on est un frêle esclave ignorant tout du vaste de monde, comment procéder ? Et quelle est la nature de ce Grand Pouvoir ?
Une œuvre culte
N’y allons pas par quatre chemin : pour moi, nous sommes là face à une œuvre culte !
Comme je l’évoquais en préambule, elle m’est personnellement marquante, car présente de tous temps dans la BDthèque familiale, et j’eut l’occasion de lire et relire cette œuvre un nombre incalculable de fois. Notez que pour rédiger cet article, je l’ai relu alors que je ne l’avais plus eu en main depuis 1 ou 2 décennies.
Dans mon environnement, c’est également une œuvre connue et reconnue parmi mes proches amateurs de BDs.
Sur le site web de référence bedetheque.com, il lui est attribué la note de 4.4/5 pour plus de 200 votes, un score plus que notable, pour un album d’un age avancé !
Exploration de Daar
Pour commencer, le monde de Daar se parcoure avec un grand plaisir.
Nous sommes là face à un univers de high fantasy comme on savait les imaginer dans les années 80s : beaux, profonds, riches, sans prétention et pourtant très crédibles. De plantes carnivores volantes montées par des archers androgynes aux ramifications sans fin des branches du Mag Mel au delà de la Grande Eau, de la forteresse terrifiante de Zembria -la-cyclope à l’attachant (et totalement anachronique) yagul ricaneur 1, des champs de batailles anonymes aux steppes de Maelar, de la douce G’wel au fidèle Bom-bom, Daar semble infinie, et le lecteur se laissera porter sans difficulté par ce monde étrange, et pourtant si finement décrit.
Que penser de ses 3 points cardinaux (un chiffre étrangement identique aux armées qui s’y affrontent) ? Que penser du non-monde, que même les légendes ne savent définir ?
Le Grand Pouvoir du Chninkel propose un lore indéniablement profond, avec une petite dose de naïveté et quelques pincées d’absurde, qui le rendent attachant sans lourdeur ni complexité surperflue. D’ailleurs, la moindre interrogation laissée sans réponse pourra toujours s’expliquer par un caprice créateur de U’n.
J’on, héros improvisé
Le personnage principal participe énormément au charme de cette aventure. Malgré son statut de messie qu’il épousera progressivement, notre petit chninkel n’est pas un héros (au sens mythologique du terme, à savoir le décisionnaire de son aventure). Loin d’un courageux Frodo 2 et bien loin d’un fougueux Conan 3, J’on est avant tout un petit lutin malicieux et pragmatique, plus surpris par sa soudaine liberté dans un monde inconnu, que par la mission divine dont il a été investi.
Bien que doté d’un grand cœur, J’on n’hésite pas à profiter des situations, dérober ce qui pourra lui servir, râler à la moindre contrariété et reluquer la jolie et naïve (vraiment ?) G’wel. Et s’il pouvait vivre caché du reste de Daar dans un coin reculé, il n’hésiterait pas une seconde et ne le cache pas.
Galerie de personnages
Bien que pas très nombreux, plusieurs personnages secondaires accompagnent (voire poussent) J’on dans sa quête.
La jolie G’wel est également une chninkel, délivrée par J’on d’un gang de nains lors d’un excès de confiance. Convaincue par l’importance de la mission qui a été confiée par le Maitre Créateur de Mondes, elle fait le vœux d’assister J’on jusqu’au bout, animée par une énergie aussi forte que dévote, au grand désespoir du petit chninkel lubrique.
Le brave Bom-bom est un jawal, un grand primate, doté d’une puissante force physique inversement proportionnelle à son quotient intellectuel. Bien que considéré benêt par J’on qui lui voue tout de même une véritable amitié, Bom-bom ne brille pas particulièrement par sa stupidité. Il s’agit surtout d’un grand singe semi-conscient, animé d’une bonne volonté, d’une grande fidélité, d’une bonne mémoire et d’un esprit pratique avant tout. Sa destinée finale est d’ailleurs plus que touchante.
Ar’th est un chninkel libre, comme G’wel, convaincu par la mission divine confiée à J’on. Il fait parti de ses premiers apôtres, et participera à annoncer sa venue et sa mission aux quatre trois coins de Daar. J’on, également nommé Le Choisi, serait envoyé par U’n pour apporter la paix mais également pour libérer le peuple chninkel (une second mission qui ne faisait pas vraiment partie du message initial)…
Cela peut être contestable, mais j’aime considérer la devineresse Volga comme étant également un personnage secondaire. Bien qu’elle n’intervienne directement que dans son chapitre éponyme, elle est présente en préambule au travers de ses filles, et accompagnera J’on dans les chapitres ultérieurs au travers de son pendentif. Magicienne aux pouvoirs phénoménaux (finalement le seul personnage vraiment doté de magie), Volga est une créature monstrueuse mais capable de changer de forme (physiquement, ou au moyen d’illusions). Comme beaucoup d’être vivants dans le Mag Mel (Sualtam, mais également Chum-chum…), son origine et son existence même apparaissent comme absurdes, ne pouvant prétendre à aucune ascendance cohérente.
Scénario
Le scénario pourrait sembler simpliste. On suit effectivement J’on qui se retrouve précipité (bien malgré lui) dans un voyage dont il ne maitrise pas grand-chose. Coincé entre la survie à court-terme, incité par G’wel, ou simplement poussé par son « aura d’élu » grandissante, le pauvre J’on est bien loin du héros traditionnel, et semble plutôt doté que beaucoup de peurs et quelques reproches. Et pourtant, péripéties après péripéties, J’on avance inexorablement dans sa mission. Cela pourrait ressembler à une facilité scénaristique, si le ressort initial du récit n’était pas un dieu créateur omnipotent…! A ce titre, la succession d’aventures de J’on peut être interprétée comme des coups de pouces subtils et indirects de la part d’U’n ; même si cela restera à la libre interprétation du lecteur.
La nature du Grand Pouvoir qui donne son nom à l’ouvrage est bien sûr au centre du récit. En effet, J’on n’a pas connaissance des nouvelles capacités qui lui sont conférées. Et si le fin mot de l’histoire est assez décevant (peut-être le seul vrai point noir du récit, cf. plus bas), les multiples espoirs et déceptions du chninkel tout au long de l’album participent à l’avancée du récit non sans sourires arrachés au lecteur.
D’ailleurs, la véracité de sa mission est elle-même régulièrement remise en doute par J’on, qui se demande s’il n’a pas simplement imaginé sa rencontre avec le Créateur. Une interrogation qui ponctue régulièrement le récit, jusqu’à interroger le lecteur lui-même.
Particularité supplémentaire de ce long ouvrage (plus de 150 pages en un unique volume) : l’album est chapitré ! Rythmant agréablement la narration, introduisant explicitement sa prochaine étape (à la manière d’un teaser), et servant parfois d’ellipse temporelle, chaque chapitre est nommé d’après le nom des personnages que croise J’on, à l’exception (dommageable) du 4eme :
- J’on
- Bom-Bom
- G’wel
- Maelar
- Sualtam
- Volga
- Jargoth
- Zembria
- Barr-Find
- U’n
Forte inspiration du nouveau testament
Cela ne m’avait pas vraiment marqué lorsque j’étais enfant (alors que j’allais pourtant au catéchisme), mais à sa relecture, il apparait évident que le Grand Pouvoir du Chninkel est largement empreint du Nouveau Testament, i.e. la partie de la bible composée des évangiles, qui narrent l’histoire de Jésus Christ pour les chrétiens.
Messie malgré lui
En effet, J’on n’a pas de famille ni parents connu. Il est envoyé par le Dieu créateur pour apporter la paix sur le monde. Il est d’ailleurs lui même issu d’un peuple sous domination, voire carrément esclave, régi par une assemblée de « sages » à la botte des races supérieures.
Reconnu par certains comme étant Le Choisi, il s’entoure de fidèles qui porteront son message et lui-même entame un vaste voyage, qui l’amènera même à traverser un long désert (aquatique). J’on sera d’ailleurs souvent en proie au doute, que ce soit sur la réalité de sa mission divine, ou sur le sens de son fameux Grand Pouvoir.
Notons que J’on sera également trahi par l’un de ses apôtres. Je n’hésite pas à utiliser ce mot, l’une des vignettes proposées par Rosinski étant directement inspirée par la célèbre Cène, de Léonard De Vinci.
Enfin, il est jugé par le tribunal des immortels 4, mais est condamné par un tribunal de son propre peuple 5, et mourra en croix au sommet du colline6.
Sommes-nous pour autant devant une redite plus ou moins inspirée des textes sacrés chrétiens transposés dans un univers de fantasy ?! Eh bien non !
Inspiration, plutôt que réinterprétation
Car si la Bible sert très clairement d’inspiration à la destinée du pauvre petit J’on, cette dernière s’en éloigne aussi beaucoup.
Tout d’abord, J’on est clairement une créature mortelle, de chair et de sang, dotée de qualités et de défauts, d’aspirations, d’envies et de peurs. Bref, s’il est bien missionné par Dieu, il ne l’est clairement pas lui-même ! A propos d’envies, la frustration sexuelle (sans être centrale) est récurrente tout au long de l’oeuvre. Il y a là un running gag assez évident, mais j’ai du mal à discerner s’il faut y lire autre chose. Quoi qu’il en soit, on s’éloigne là encore du personnage du Christ.
Notons également que le monde de Daar est en guerre perpétuelle. L’espoir de paix semble totalement étouffé entre les peuples asservis, les races supérieures qui se complaisent dans d’immenses batailles sanglantes, et les quelques peuplades intermédiaires qui profitent avidement de ce conflit éternel de diverses manières.
Enfin, le Maitre Créateur des Mondes est très différent du Yavhé du nouveau testament. Très monolithique, au figuré comme au propre (avec un clin d’œil peu inspiré à « 2001 » de Kubrick), U’n n’est pas un dieu de bonté, mais nous y reviendrons plus bas.
Un triple dénouement
Le chapitre final propose une conclusion en trois phases.
La première lève le voile sur la nature de ce fameux Grand Pouvoir, qui était en fait… la capacité à pardonner ! Une résolution plutôt décevante de ce mystère, car assez décorrélée de ce que proposait le récit jusque là. Rien n’annonçait une telle révélation (je n’ai relevé ni set up, ni foreshadowing en ce sens), on ne comprend pas comment J’on prend conscience de ce pouvoir, ni vraiment à quoi il lui sert. Pourquoi pardonne-t-il aux immortels, au moment de mourir ? En quoi cela lui permet-il de réussir sa mission ? Et d’ailleurs, compte tenu du peu que nous savons sur U’n, pourquoi aurait-il doté un chninkel de cette capacité ? En dehors d’un nouveau lien évident avec la mort de Jésus Christ, ce point est à mon sens le principal défaut de l’œuvre.
S’en suit l’intervention de N’ôm l’hérésiarque, le roi à l’origine du courroux de U’n. Celui-ci remet en cause la nature du Dieu Créateur lui-même. J’y revient dans les derniers paragraphes de cet article.
Enfin, Daar est dévastée (à défaut d’être détruite) et un épilogue surprenant nous fait prendre conscience que les jawals, la race de Bom-bom, s’avèrent en fait être de très lointains ancêtres des humains. Daar n’est donc autre que… la Terre ! Cette révélation est assez gratuite, et n’apporte pas grand chose au récit, mais fonctionne plutôt bien et renforce un peu plus l’empathie du lecteur pour la destinée de J’on. Notez que la toute dernière planche est à double-sens :
U’n n’a pas détruit notre monde, mais il a fait pire encore : il l’a oublié.
J’on le Choisi est mort pour rien…
Car ce monde est sans avenir.
(Dernière planche, dernières cases)
Cette dernière phrase est-elle à prendre au premier degré, comme un constat de la vacuité de notre monde ? Ou s’agit-il de second degré, signalant qu’en l’absence de U’n, nombre de civilisations prospères émergeront…?
Construction de l’album
Dessins
Le dessin est tout à fait plaisant. L’on retrouve Rosinski en grande forme, dans la période que je lui ai préférée dans la série Thorgal. Si certains détails font parfois un peu brouillons ou flous, l’ensemble est extrêmement crédibles. Les proportions sont irréprochables, les personnages expressifs et reconnaissables, même pour les races non humaines, et jusqu’au personnage à l’apparence totalement absurde de Volga.
Certains panoramas de Daar sont à couper le souffle. Et malgré la grandeur de ce monde de fantasy, à la beauté sauvage et à la variété sans borne, on devine une souffrance latente, le poids de la guerre et du désespoir qui filtre malgré les fleurs de Sualtam, les rire des jawals ou les courbes des amazones.
Comme signalé plus haut (et vous l’aurez peut-être compris en jetant un vague coup d’œil aux illustrations qui ponctuent cette critique), le dessin est en noir et blanc. Et si cela peu vaguement rebuté à l’heure des écrans en 4K, il ne faut que quelques pages pour faire totalement abstraction de cette monochromie et s’immerger dans l’univers de Daar, que l’on imaginera en mille couleurs sans aucun mal. Et bien qu’il existe une version du Grand Pouvoir du Chninkel tardivement colorisée (et sans doute pas dénuée d’intérêt), j’ai une préférence pour le respect du choix originel des auteurs comme je l’explicitais ici.
Et sans couleur, Rosinski peut laisser libre court à ses talents, notamment en insistants sur de magnifiques jeux de lumières. Par exemple, alors que J’on et G’wel campent au coin d’un feu de camp, les angles de vues des vignettes s’enchainent, laissant la lumière indiquer au lecteur l’orientation des personnages, tout en soulignant l’inquiétant monde qui les entoure dans des aplats de noirs insondables.
On soulignera également la belle maitrise des plongées et contre-plongées (cf. plus haut), permettant d’insister sur la toute puissance de U’n, notamment face notre bien frêle chninkel.
Compositions
Le Grand Pouvoir du Chninkel nous offre également des compositions intelligentes et travaillées.
Les auteurs savent transmettre des émotions par la seule succession de vignettes. Par exemple, l’exposition des trois forces en présence dans la guerre qui fait rage sur Daar est amenée progressivement, sans parole, dans deux séquences de trois cases tout en longueurs. Le format très allongé transmet une sensation d’étouffement, tandis que les armées s’approchent inexorablement, permettant au lecteur de mieux en mieux les distinguer.
Le dessinateur emploie également avec subtilité des planches dans lesquelles le dessin se prolonge de vignette en vignette (cf. illustration plus haut).
Notons enfin que grâce à cette excellente maitrise de la mise en scène aux travers des vignettes, planches et chapitres, le récit contient extrêmement peu de cartouches. Tout juste en trouve-t-on dans les premières pages d’exposition, ainsi que dans les dernières pages de conclusion, d’ailleurs probablement du fait d’un unique narrateur que l’on découvre à la dernière page. A l’inverse, la scène de condamnation de J’on est illustrée sans le moindre mot, pour un moment qui saisira le spectateur lecteur sans le moindre doute.
Dieu créateur et libre arbitre
Alors que l’apparition de U’n dans le premier chapitre était vaguement teintée d’humour, et que la légende de N’ôm d’hérésiarque semblait surtout servir d’origin story à la condition du peuple chninkel, le chapitre final aborde des questions qui entraineront le lecteur qui y est sensible sur de profondes interrogations théologiques…
Dans l’ultime chapitre, en effet, U’n tient parole en faisant disparaitre les trois immortels, mettant fin à la guerre. N’ôm apparait alors, tant physiquement, que comme la source de tous les maux de Daar. En effet, c’est lui qui s’était fait adoré par le peuple chninkel, les détournant du dieu créateur, lequel s’en était trouvé courroucé et avait précipité le monde dans la guerre. A ce titre, et au risque de sur-interpréter, peut-être peut-on voir les 3 immortels, envoyés tels des fléaux, comme des incarnations de trois formes de narcissisme :
- Jargoth, qui cache sa jambe lépreuse sous des parfums incarnerait le statut social ?
- Zembria, défigurée derrière son masque serait la beauté ?
- Barr-Find, dont la main est également contaminée, correspondrait à la force ?
Mais N’ôm accuse U’n d’être lui-même la cause et la conséquence de la guerre dévastatrice et multi-millénaires. En effet, en tant que Dieu créateur omnipotent et omniscient, il a provoqué (ou laissé faire) l’hérésie de N’ôm, condamnant ses créatures à des tourments qu’il aurait tout-à-fait pu éviter. C’est un argument qui revient souvent entre croyants et athées : si Dieu existe, pourquoi laisse-t-il faire le Mal ?
La réponse proposée par le Grand Pouvoir du Chninkel est limpide et fait froid dans le dos : le Maitre Créateur des Mondes n’est simplement pas bon, mais jaloux et rancunier7.
Le lecteur est lui-même invité à s’interroger sur son éventuelle propre foi…
Notez que ce thème de l’homme (avec un petit « h ») qui défie le(s) dieu(x) est également un thème que l’on retrouve dans la série Thorgal, en particulier peu avant l’arc de Shaigan et dans les tomes qui suivent.
Conclusion
En conclusion, vous l’aurez compris, c’est un lointain et grand coup de cœur que cette BD que je vous invite à découvrir, ou redécouvrir, à l’occasion de ces fêtes de fin d’année 2022.
Un dessin somptueux, laissant place à l’imagination pour les couleurs du monde de Daar. Des personnage attachants, qui vous entraineront dans une épopée qui vous marquera. Et des questions ouvertes et vertigineuses, pour ceux qui s’y laisseront porter.
Bonne lecture !
PS : Comment est-ce que vous prononcez « U’n », vous ? 🙂
- Sorte d’oiseau mécanique intelligent, capable de voler sans que l’on sache comment, et seul et unique représentant de son espèce ![↑]
- Héros du Seigneur des Anneaux de Tolkien.[↑]
- Le célèbre barbare créé par Howard[↑]
- Tel le romain Ponce Pilate.[↑]
- Tel le sanhédrin juif.[↑]
- Tel Jésus Christ.[↑]
- En outre, il ne semble pas non plus vraiment omnipotent, lui-même affirmant qu’il ne peut pas s’occuper de tous les mondes qu’il a créé…[↑]
« Car ce monde est sans avenir. » => « Ou s’agit-il de second degré, signalant qu’en l’absence de U’n, nombre de civilisations prospères émergeront…? »
Je ne comprend pas comment tu arrive à lire ça dans cette phrase, que ce soit au second, troisième ou quatrième degré XD
« le Maitre Créateur des Mondes n’est simplement pas bon, mais jaloux et rancunier »
Ça me rappelle une discussion qu’on a eu il n’y a pas si longtemps. Qu’il est peut-être vain de vouloir calquer nos notions humaines et limitées de bien et de mal sur Dieu (s’il existe). Tiens d’ailleurs en écrivant ces lignes, ça me fait penser à la culture du bonsaï. On cultive un arbre dans un pot, en limitant sa croissance, en coupant des branches, en en tordant d’autres qu’on garde en position avec du fil de fer. Tout ça dans un but d’esthétisme qui dépasse probablement complètement la compréhension de l’arbre lui-même. Et ce qui paraitre de prime abord un mauvais traitement de l’arbre n’en est pas un. Le but est de garder l’arbre dans la meilleure santé possible, une partie du travail est de s’assurer que toutes les feuilles de l’arbre aient bien accès à la lumière, de bien arroser et fertiliser l’arbre, etc. Notre monde est peut-être une sorte de bonsai divin ?
Excellente BD, j’approuve, de la part d’un proche amateur de BD de l’environnement 😉
« Je ne comprend pas comment tu arrive à lire ça dans cette phrase »
Eh bien… On peut se dire (surtout vu depuis l’œil d’un auteur des années 80) que les civilisations qui prospèrent au XXème siècle se sont très bien débrouillées sans Maitre Créateur des Mondes. Non ? Ce qui donnerait à cette citation d’un homme de l’age de pierre un certain second degré. Tu vois ce que je veux dire ?
« Ça me rappelle une discussion qu’on a eu il n’y a pas si longtemps. »
Absolument ! En fait, j’ai rédigé cet article effectivement à l’époque (il y a quelques semaines) où nous avions ces discussions philosophico-théologiques ! 🙂 J’avais même hésité à développer beaucoup plus le paragraphe concerné ; mais là n’était pas le propos de l’article.
Ta réflexion est intéressante… La fin justifie-t-elle les moyens ? Et de manière plus prosaïque, contraindre à court terme, est-ce que ce n’est pas le processus classique de tous soins (au sens très large) portés à quelque chose ou quelqu’un d’autres, plus ou moins malgré lui ? Exemple qui me vient spontanément en tête : l’éducation d’un (jeune) enfant.
J’avoue, j’ai dû remonter un peu dans l’article, pour percuter sur ta dernière phrase, l’ami. 😉
Ton article m’a donné envie de relire cette excellente BD, ce que je viens de faire ! J’y ai retrouvé le même plaisir de lecture que quand je l’avais découverte alors qu’on était en prépa 🙂
Il me semble me souvenir que j’avais lu la version colorisée à l’époque. C’est la version intégrale noir et blanc qu’on a à la maison, et effectivement on sent que l’oeuvre a été prévue à la base pour être en noir en blanc. D’ailleurs, j’ai souvenir de couleurs un peu kitsch qui passaient mal dans la version en couleur (en particulier la scène avec Volga). C’est du Rosinski en forme, qui a apporté un grand soin aux dessins (par contre je ne dirais pas comme toi que c’est sa période que je préfère, j’aime également ce qu’il a fait sur Western ou sur la Vengeance du Comte Skarbek dans un style très différent). Je ne me souvenais pas de cet aspect, mais il y a un côté très « cinématographique » dans certaines grandes cases, celles que tu as mises dans ton paragraphe Compositions, et également vers la fin quand J’on marche vers le supplice qui l’attend.
Côté histoire, je reste globalement d’accord avec la moi-même de ma première lecture : c’est très bien construit, c’est prenant, le dénouement tragique est une apothéose. Mais je n’aime pas trop la toute fin qui raccorde Daar à la Terre. Encore que ça m’a moins « dérangée » qu’avant.
J’ai quand même tiqué sur le personnage de G’wel. C’est un personnage assez fade finalement, dont le rôle se limite à soutenir J’on et à servir d’otage pour que Zembria le fasse chanter. Et surtout à la relecture j’ai trouvé malaisantes toutes ces scènes où J’on veut coucher avec elle, ignore ses « non », avec en sous-entendu « elle dit non mais pense oui », C’est clairement quelque chose qui ne passerait plus pour moi sur une parution récente.
Concernant la révélation sur le grand pouvoir, je suis assez d’accord que ce n’est pas très très bien amené.
Cela dit, je n’irais pas jusqu’à dire que rien ne l’annonçait. D’une part, parce que c’est assez logique quand on y réfléchit. Au départ, suite à une coïncidence J’on pense que son grand pouvoir lui permet de tuer par sa seule volonté. Mais est-ce cela qui pourrait arrêter une guerre (puisque la mission de J’on est de rétablir la paix) ? Certainement pas. À la limite cela pourrait aider à permettre à un camp de dominer les autres, mais ce n’est pas une solution pour une paix durable. Je comprends dans cette révélation sur la nature du « grand pouvoir », une affirmation que le pardon est nécessaire pour construire la paix. Cela me paraît assez juste.
Ensuite, il est bien question de pardon, par 2 fois, avant la révélation de la conclusion. D’abord quand J’on pardonne à Ar’th. Ensuite quand Nôm dit qu’il est condamné à reste dans le non-monde pour l’éternité, puis sous-entend que le pardon lui permettrait d’en sortir mais que U’n ne lui accorderait jamais.
Cela dit, je trouve qu’un peu plus de matière pour amener cette révélation sur la nature du « grand pouvoir » aurait été bienvenue. Sans non plus tomber dans l’excès inverse. Tu parles d’absence de set up et de foreshadowing (je ne connaissais pas ces termes), pour ma part j’ai de plus en plus de mal à supporter tous ces scénarios, généralement de cinéma plus que de BD pour le coup, où l’histoire suit toujours systématiquement le même schéma narratif trop bien huilé : avec la scène au début « vois héros qui va partir en quête, je te confie la Grosse Ficelle qui m’a été confiée par mon oncle Tchekhov, souviens toi que l’amour et la justice triomphent de l’égoïsme et de la haine » ; puis des scènes montrant le conflit interne du héros oscillant entre égoïsme et justice, jusqu’au climax où le héros comprend qu’il ne doit pas utiliser la Grosse Ficelle pour étrangler haineusement son antagoniste mais pour réparer la balance de la justice. Quand c’est trop artificiel, vu et revu comme schéma narratif, ça me fait complètement sortir de l’histoire.
Il y a sans doute un juste milieu à trouver !
Pour le “car ce monde est sans avenir », personnellement je le comprends simplement comme de l’ironie : le lecteur sait bien que ce monde aura un avenir puisqu’il est censé en faire partie.
Et pour répondre à ton PS, U’n, je le prononce un peu comme « une » mais sans prononcer le e.
(oui, parce que moi les e muets je les prononce. D’ailleurs on devrait dire autre chose que « muet » pour ces e. « Mat » (celui de échec et mat) et mate ça se prononce pas tout à fait pareil pour moi, mais attention « mate » je le dis pas pareil que « matheux » non plus. Disons que je prononce U’n comme quelqu’un avec un accent où on n’entend pas les e muets dirait « une »)
Salutations Eldermê ! Ca fait plaisir de te croiser ici ! Soit la bienvenue !
J’avoue que je ne connais ni Western, ni ka Vengeance du Comte Skarbek. Il faudra que je corrige cela…
Nous somme d’accord que le dernier twist (Daar=Terre) est assez gratuit. Mais pour ma part, je trouve qu’il fonctionne quand même.
Il est effectivement probable que plusieurs scènes avec G’wel ne passeraient plus le filtre #MeToo. Pour autant, je ne la trouve pas face. C’est elle qui pousse J’on (parfois presque au sens propre), elle incarne la volonté de mener sa quête à bien, et l’espoir d’un avenir pour le peuple Chninkel et Daar. C’est aussi elle qui le guide vers les chninkels libres ; également, c’est elle qui confronte directement N’om.
Je suis d’accord que Set-up ou Foreshadowing (ce sont des termes de cinéma à la base, justement !) ne sont que des outils. Ce ne sont pas des solutions en elles-mêmes, mais des artifices à manier intelligemment pour donner de la fluidité au scénario. Ne pas en utiliser mène à des Deus ex machina. Mal (ou trop) les utiliser mène à des scénarii complètement prévisibles ou clichés.
« Pour le “car ce monde est sans avenir”, personnellement je le comprends simplement comme de l’ironie : le lecteur sait bien que ce monde aura un avenir puisqu’il est censé en faire partie. »
=> Eh ben voilà !! Je suis tout à fait d’accord ! Mais Lyrgard ne semble pas du tout sur notre longueur d’onde ! 😀
Pour ma part, je crois que U’n, je le prononcerait « Eunn ».
Concernant le « Car ce monde est sans avenir », je n’avais pas compris que tu interprétait ça avec le twist final, que Daar était la Terre, et qu’on a pu voir qu’elle n’était pas sans avenir (enfin, les temps modernes ne me rendent pas non plus des plus optimistes sur ce points).
En fait, le twist final est tellement « hors univers » pour moi que je le vois plus comme une galéjade finale que comme du canon de l’histoire, ça m’était donc sorti de l’esprit.
Je comprend donc un peu mieux ta phrase. Par contre je n’ai pas trop d’opinion sur quelle était l’intention de l’auteur en l’écrivant.
Pour moi, cette phrase est complètement à relier au twist final. Elle intervient même après celui-ci, et permet à mon avis de le mettre en relief. Reste à voir quel relief on lui donne.
Il tout à fait possible que l’auteur ait volontairement voulu ce double sens, en réalité…!
J’ai fait une petite mise à jour de cet article (ici pour être précis), avec un lien vers un podcast dans lequel le scénariste revient sur sa création du « GRand Pouvoir du Chninkel ».