20 ans se sont écoulés depuis que la fédération alien du « Complexe » a lancé la mission Renaissance sur Terre. Désormais, la planète est en rémission, les niveaux des eaux diminuent, les écosystèmes se stabilisent, l’énergie est abondante et les différentes nations humaines sont en paix. L’ensemble est garanti par la présence des extraterrestres, pilier majeur à la sauvegarde de la Terre et de l’humanité.
Swänn et Sätie sont toujours présents, Hélène est une experte en algorithmes, tandis que Liz vit dans une enclave autonome, à l’abri de l’ingérence alien.
Mais la présence de ces « sauveurs » n’est pas sans conséquence sur les nouvelles générations humaines. Et tandis qu’Hélène découvre un secret remettant en cause le projet Renaissance, Swänn est pris à partie par des humains extrémistes.
Et dans l’ombre, une mystérieuse « résistance humaine », lourdement armée, s’en prend aux installations et aux peuples du Complexe…

Un monde sauvé, mais à quel prix ?
En tant que jeune humain ayant grandi sous l’ombre protectrice du Complexe, la lecture de cet album m’a plongé dans un univers familier, où la paix et la prospérité sont garanties par ces extraterrestres bienveillants. La présence du premier cycle (tome 1 à 3) a en effet permis de poser un univers déjà riche, qu’il n’est pas nécessaire de ré-exposer dans ce 4e tome ; ainsi, le scénario peut aller rapidement en profondeur…
L’album dévoile subtilement les effets d’une dépendance insidieuse. Le Complexe gère l’énergie, contrôle les ressources, et définit les règles d’une société en apparence idyllique (bien que son activité sur Mars reste énigmatique). Mais à force de vivre dans un confort artificiel et sous perfusion, les humains semblent avoir perdu le contrôle de leur propre destinée. On parle peu des enclaves autonomes, où certains tentent de vivre hors de cette bienveillance omniprésente. Ces lieux dégagent une atmosphère de liberté brute qui contraste violemment avec le monde aseptisé du Complexe.
Un scénario percutant qui bouscule les certitudes
L’intrigue, habilement construite, ne se contente pas de poser des questions philosophiques : elle force à remettre en cause tout un modèle de société. Voir Hélène, experte en algorithmes, découvrir un secret capable d’ébranler les fondements du projet Renaissance est aussi fascinant que perturbant. Cela m’a fait réfléchir à la confiance aveugle que ma génération accorde à cette technologie alien, omniprésente et apparemment infaillible.
L’évolution des personnages renforce cette remise en question. Swänn, pourtant humaniste malgré son envoi en première ligne dans le tome 1, devient la cible d’extrémistes humains, révélant une fracture sociale bien plus profonde qu’il n’y paraît. Liz, qui a choisi de vivre dans une enclave autonome, incarne cette soif de liberté que j’ai du mal à comprendre, ayant toujours vécu dans l’aisance du Complexe.
A l’inverse, le projet Renaissance offert à ma génération le « Saut Primal » : une poignée de jeunes gens sélectionnés feront partie du tout premier saut inter-stellaire humain à destination de plusieurs planètes du Complexe, en particulier Näkan et Kobält. Un évènement majeure dans l’histoire de l’Humanité, qui était pourtant au bord du gouffre il y a 2 décennies, et auquel participe Jules, le fils d’Hélène.
Un dessin efficace mais classique
Visuellement, l’album joue sur un contraste marqué entre la cité marine d’Australis, symboles d’un progrès contrôlé, et les enclaves autonomes, plus brutes et moins policées. La morphologie de certaines créatures extraterrestres rappelle constamment que ce monde n’est pas totalement humain, un rappel subtil mais oppressant de la présence alien.
Cependant, bien que le charadesign soit dans la lignée des tomes précédents, il sort (enfin) un peu des sentiers battus, en proposant des créatures aliens bioluminescentes, quadrupèdes, ou d’aspect proche de mollusques conscients. Sans révolutionner la saga, ces petites coquetteries graphiques renforcent cette sensation d’étrangeté que suscite le Complexe.

La révolte des nouvelles générations ?
Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’impact de cette situation sur ma génération. Nous avons grandi en paix, mais à quel prix ? Les dilemmes éthiques soulevés par cet album sont vertigineux : peut-on vraiment être libre lorsque l’on dépend de la technologie et de l’autorité bienveillante d’une puissance extraterrestre ? Autre question : qu’en est-il de sentiments amoureux qui se développeraient entre des humaines et des aliens ? A ce sujet, la limite posée par le complexe est formelle : aucune hybridation artificielle ne peut avoir lieu, il s’agirait d’un crime bioéthique majeur.
La révolte des humains contre le Complexe est présentée de manière nuancée, sur plusieurs plans :
- Les enclaves autonomes constituent une forme de rejet pacifique de Renaissance ;
- Mais ces enclaves ne servent-elle pas de vitrine ou d’abris à des personnages aux intentions bien plus tranchées ?
- Enfin, certains extrémistes n’hésitent pas à recourir à la force dans des attaques suicides.
Je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la meilleur position à tenir : accepter cette paix confortable, ou prendre le risque de tout perdre pour goûter à une liberté inconnue ?
En abordant des thèmes aussi complexes que la soumission morale et technologique, l’éthique et la bioéthique, le besoin de reconnaissance (illustré par les nouveaux dignitaires humains), celui de liberté (incarné par Sui Juris) ou encore les limites de l’ingérence bienveillante, cet album m’a offert une lecture intense et profondément troublante.